La froide lumière de l’aube glisse doucement sur le sommet des montagnes ; celles-ci émergent comme des îles dans le sombre océan de la vallée, des volutes de vapeur montant des fourrés accrochés à la roche. Pour le moment on n’entend aucun chant d’oiseau ou de grillon, aucun sifflement du vent dans les arbres. Quand […]
Sing
de Karin Tidbeck
La froide lumière de l’aube glisse doucement sur le sommet des montagnes ; celles-ci émergent comme des îles dans le sombre océan de la vallée, des volutes de vapeur montant des fourrés accrochés à la roche. Pour le moment on n’entend aucun chant d’oiseau ou de grillon, aucun sifflement du vent dans les arbres. Quand la grande ombre de Maderakka retombera sous l’horizon, trilles et pépiements reviendront en une violente explosion sonore. Pour l’instant, nous restons là, dans un silence absolu.
Les oiseaux sont partis. Petr est allongé, la tête sur mes genoux, son torse montant et descendant si vite qu’on dirait un battement d’ailes, son sang courant sous sa peau. Les morceaux de coquille d’œuf que je n’ai pas pu retirer de sa bouche, ceux qui sont déjà entrés en lui, répandent une blancheur sur la chair autour d’eux. Si seulement je pouvais l’entendre respirer normalement. Ses yeux sont révulsés, ses bras et ses jambes recroquevillés contre son corps comme ceux d’un nouveau-né. S’il est conscient, il doit souffrir. J’espère qu’il ne l’est pas.
Un homme à la silhouette étrange est entré et s’est avancé jusqu’au comptoir. Il a fait un tour complet sur lui-même pour observer le désordre de mon atelier : les tissus, l’établi de coupe, les morceaux de patrons. Puis il a posé son regard droit sur moi. Il n’était clairement pas d’ici – personne ne l’avait averti de ne pas faire ça. J’ai failli le reprendre : partez, vous n’êtes pas censé entrer en contact comme ça, vous devez faire comme si je n’étais pas là et dire ce que vous voulez dans le vide. Mais j’étais curieuse de voir ce qu’il pouvait faire. J’étais trop habituée à éviter de croiser le regard des autres, alors j’ai concentré toute mon attention sur le reste de sa personne : le corps trapu aux épaules étonnamment larges, le haut des bras et des jambes gonflé. Le cuivre coupé court sur sa tête. Je n’avais jamais rien vu de pareil.
Et donc cet homme s’est avancé jusqu’au comptoir et s’est adressé directement à moi, et c’était comme être prise sous le soleil au zénith.
« Vous êtes Aino ? La couturière ? Pouvez-vous réparer ceci ? »
Il parlait lentement et posément, son accent chargé de sons durs. Il a lâché un tas indistinct sur le comptoir. J’ai repris mes esprits et me suis frayé un chemin vers lui. Il a tressailli quand j’ai glissé de ma chaise devant l’établi de coupe, me rattrapant avant que mes genoux ne se plient vers l’arrière. Je savais ce qu’il avait vu : un phasme à visage humain qui avançait en titubant le long de la table, ses articulations pliées en des angles impossibles. Pourtant il n’a pas détourné le regard. Je voyais ses yeux en périphérie de mon champ de vision, deux points jaune d’or qui me suivaient tandis que je me hissais sur le tabouret derrière le comptoir. Le paquet, quand je l’ai soulevé, s’est révélé être une veste à la coupe étrange. Elle n’avait aucun fil visible, son matériau presque comme une toile brute, mais pas tout à fait. Elle était à moitié mangée par l’usure et la crasse.
« Vous auriez dû la faire réparer il y a longtemps. Et la faire laver. Je ne peux pas réparer ça. »
Il s’est penché vers moi, la main en coupe derrière son oreille. « Répétez, s’il vous plaît ?
— Je ne peux pas la réparer », ai-je dit, plus lentement.
Il a soupiré, une longue bouffée d’air chaud contre mon avant-bras. « Pouvez-vous en faire une autre ?
— Peut-être. Mais je vais devoir prendre vos mesures. » Je lui ai fait signe d’approcher.
Il a contourné le comptoir. Après son premier sursaut, il n’a pas réagi. Son odeur était sèche, comme de l’ocre et des épices brûlées, pas déplaisante, et pendant que je prenais ses mesures il parlait sans s’arrêter, un torrent de consonnes et de mots archaïques, assez facile à comprendre si je n’écoutais pas avec trop d’attention. Il s’appelait Petr, un nom aussi anguleux que son accent, et il venait d’Amitié – une station située quelque part, loin d’ici – mais il était né sur Gliese. (J’en avais un peu entendu parler, et je le lui ai dit.) Il était biologiste et il n’avait pas vu le ciel depuis huit ans. Il avait atterri sur Kiruna, voyagé en camion puis marché pendant trois jours, et il était fier d’avoir appris notre langue, même s’il trouvait notre dialecte très étrange. Il venait faire des recherches sur le lichen.
« Les lichens peuvent survivre partout, a-t-il dit, même dans le vide spatial, du moins sous forme de spores. J’aimerais comparer ceux qui grandissent ici à ceux de Gliese pour voir s’ils ont la même origine.
— Seulement vous ? Vous êtes seul ?
— Savez-vous combien de colonies il y a, là-dehors ? » Il a ri, mais s’est raclé la gorge ensuite. « Désolé. Mais c’est vraiment à ce point. Il existe plus de colonies qu’on ne peut en compter. Et Kiruna, et bien, Kiruna est considérée comme un monde à l’abandon depuis le départ des compagnies minières, alors… »
Le mot qu’il a prononcé ensuite est resté silencieux. Saarakka s’était levée, la lune mineure brillante, aussi soudaine qu’à l’accoutumée. Ses lèvres ont esquissé d’autres mots. Je suis passée de la parole au chant, mais Petr ne pouvait que me fixer du regard. Il a incliné légèrement la tête vers moi, les yeux plissés, puis a secoué la tête avant de se pincer l’arête du nez. Il a mis sa main dans la poche arrière de son pantalon et en a sorti quelque chose qui ressemblait à un petit livre très fin. Il a fait un mouvement vif – l’a secoué, en quelque sorte – et l’objet s’est déplié en une grande feuille carrée qu’il a posée sur le comptoir. Des lettres étaient affichées près du bord inférieur et ses doigts ont voltigé de l’une à l’autre. QU’EST-IL ARRIVÉ AU SON ?
J’ai reconnu la disposition des lettres. Je pouvais écrire. SAARAKKA, ai-je tapé. QUAND SAARAKKA EST DANS LE CIEL, ON N’ENTEND PLUS LES PAROLES. ON CHANTE À LA PLACE.
POURQUOI PERSONNE NE M’EN A-T-IL PARLÉ ?
J’ai haussé les épaules.
Il a écrit avec des gestes ennuyés et saccadés. COMBIEN DE TEMPS CELA VA-T-IL DURER ?
JUSQU’À SON COUCHER.
Il avait tellement de questions – il voulait savoir comment Saarakka rendait muette la parole, si les autres lunes nous affectaient aussi. Je lui ai raconté comment Oksakka tue le chant des oiseaux, et comment la géante Maderakka pointe de temps à autre à l’horizon, nous rappelant que nous ne sommes que ses satellites, toutes les trois. Comment ils avaient donné à notre propre monde le nom d’une ville minière, et comment nous avons appelé les autres lunes par les noms d’une ancienne déesse et de ses servantes, bien que ces noms nous semblent étranges et durs à présent. Mais chaque réponse amenait de nouvelles questions. Finalement, j’ai poussé la feuille loin de moi. Il a levé les paumes en un geste de résignation, a replié la feuille et est parti.
Ce que j’ai voulu dire, quand il a commencé à parler de Kiruna comme d’un monde parmi de nombreux autres, c’était que je ne suis pas stupide. Je lis, et de temps en temps j’apprenais des choses grâce à mon vieux poste, quand le satellite de communication était au-dessus de nous et que les lunes n’interféraient pas trop avec lui. Je savais qu’Amitié était une grosse station spatiale. Je savais qu’on vivait dans un misérable trou paumé. Malgré tout, on pense tous que son chez-soi est spécial, même si personne ne vient jamais le visiter.
Le village n’a qu’une seule rue. On peut y marcher un petit moment avant de descendre vers la paresseuse rivière rouge. Je m’y rends pour me laver et rincer les étoffes.
J’aime le crépuscule, quand tout le monde est rentré chez soi et que je peux sécher à l’air libre sur la grande pierre plate près de la rive, bras et jambes enfin étendus, relaxés et pliés comme bon leur semble, mes vertèbres et mes muscles craquant comme du bois après une longue journée à maintenir l’ensemble droit et vertical. Quelquefois les chèvres viennent me rendre visite. Elles ne se soucient que de la nourriture ou des grattouilles derrière l’oreille que je peux leur offrir. Pour les chèvres, tous les êtres humains sont égaux, à part ceux qui ont des friandises. Parfois les oiseaux viennent ici, eux aussi, alignés sur les rochers pour se lisser les plumes, leurs yeux à facettes iridescents dans la lumière couchante. J’essaie de ne pas leur prêter attention, mais à moins qu’Oksakka n’assourdisse leurs voix haut-perchées, les vrombissements saccadés et insistants de leurs ailes sont impossibles à ignorer. Plus de deux ou trois et ils commencent à gazouiller entre eux, d’une façon étrangement semblable à un chant humain, et je m’en vais.
Petr m’a rejointe sur le chemin qui monte depuis la berge. Je portais un tas de tissu mouillé attaché dans mon dos ; j’allais lentement parce que j’en avais amené trop et le poids supplémentaire m’obligeait à m’appuyer lourdement sur mes béquilles.
Il a tendu une main. « Laissez-moi le porter pour vous, Aino.
— Non merci. » Je l’ai dépassé.
Il est resté à ma hauteur. « J’essaie seulement d’être poli. »
Je lui ai lancé un coup d’œil discret, mais il m’a paru sincère. J’ai défait mon paquetage. Il l’a pris et l’a lancé nonchalamment par-dessus son épaule. Nous avons remonté la pente en silence, lui à une allure tranquille, moi me concentrant sur l’effort, béquille-pied-pied-béquille.
« Votre écosystème, a-t-il fini par dire quand le chemin est redevenu plat. Il est fascinant.
— En quoi ?
— Je n’avais jamais vu de système fondé sur le parasitisme.
— Je n’y connais pas grand-chose.
— Mais vous savez comment cela fonctionne ?
— Bien sûr. Les animaux pondent leurs œufs dans d’autres animaux. Ou même dans des plantes.
— Y a-t-il quoi que ce soit qui se sert des chèvres comme hôtes ?
— Les mouches à crochet. Elles éclosent dans le museau des chèvres. »
Petr a acquiescé d’un murmure. « Cela leur fait-il mal ?
— Non… D’habitude. certaines tombent malades et meurent. La plupart du temps elles deviennent plus… guillerettes. Au moins c’est une bonne chose pour elles.
— Fascinant. C’est la première fois que je vois une espèce allochtone s’intégrer aussi facilement dans un écosystème. » Il a marqué une pause. « Ces mouches à crochet. S’attaquent-elles aux humains ? »
J’ai secoué la tête. Il est resté silencieux un moment. Nous étions presque au village quand il s’est remis à parler.
« Alors, depuis combien de temps votre peuple chante-t-il ?
— Je l’ignore. Longtemps.
— Mais comment faites-vous pour apprendre ? Je veux dire, j’ai essayé, mais je n’arrive pas à produire les sons. La hauteur de voix… elle est bien plus élevée que tout ce que j’ai pu entendre chez un humain. C’est comme le chant des oiseaux.
— Ça se transmet. » Je me suis focalisée sur la contraction des muscles de mon pied pour faire le pas suivant.
« Comment ? Est-ce une mutation ?
— Ça se transmet, j’ai répété. Voilà l’atelier. Je peux m’en charger maintenant. Merci. »
Il m’a passé le paquet. Je voyais bien qu’il voulait me poser plus de questions, mais je me suis détournée de lui et j’ai traîné mon chargement à l’intérieur.
Je ne dis pas de mensonges. Mais je ne répondrai pas non plus à une question qui n’a pas été posée. Petr aurait appelé ça un mensonge par omission, je suppose. Je me suis demandé quelle différence ça aurait fait si je lui avais seulement dit ce qu’il voulait vraiment savoir : non pas comment nous apprenons, mais comment il nous est possible d’apprendre. Mais non. Je ne pense pas que ça aurait changé grand-chose. Il était trop imprudent dans sa curiosité.
Ma mère m’avait affirmé que je ne reprendrais jamais son commerce, mais elle me sous-estimait, ainsi que tout ce que j’ai appris avant qu’elle ne décède. J’ai un peu de force dans mes mains et mes bras, et je suis douée pour le travail de précision. Ça fait de moi une bonne couturière. De cette façon on me respecte au moins un peu, parce que je suis indépendante et que je m’en sors bien. Et donc les villageois font appel à moi, même s’ils ne me regardent pas.
Les autres comme moi n’ont pas autant de chance. Un homme en bas de la rue n’a pas quitté sa chambre depuis des années. Ses parents âgés s’occupent de lui. Quand ils mourront, les autres habitants n’auront pas autant de cœur. Je sais qu’il y en a d’autres, çà et là, dans le village et les fermes alentours. Ceux d’entre nous qui ne sortent pas de chez eux ne communiquent pas entre eux. Nous restons à l’écart, nous qui n’avons pas reçu le don sans heurt.
Je me demande si c’est ce qui va arriver à Petr, maintenant. Jusqu’ici, pas d’évolution ; il est immobile. Ses tempes sont couvertes de taches de rousseur. Je ne l’avais pas remarqué auparavant.
Petr refusait de me laisser seule. Il n’arrêtait pas de venir me voir pour discuter. Je ne savais pas s’il faisait ça avec tout le monde. J’ai parfois pensé qu’il n’étudiait même pas les lichens ; il se contentait d’aller de maison en maison et de parler à nous en casser les oreilles. Il parlait de son monde si lourd, qu’il a laissé derrière lui pour aller parcourir à une allure d’escargot, libéré de son poids, les rayons d’Amitié. Il m’a dit que je n’aurais pas à porter mon propre poids là-bas, que je pourrais me déplacer sans béquilles, et j’ai été surprise par le désir qui a jailli en moi, mais je n’en ai rien dit. Il m’a demandé si je souffrais, et j’ai répondu que cela n’arrivait que lorsque mes articulations se pliaient à l’envers ou sur le côté trop rapidement. Il était fasciné.
Quand Saarakka se levait, il écrivait pour me demander de chanter. Il analysait les cadences et les inflexions comme un scientifique, s’agaçait quand elles refusaient de se mettre en ordre bien rangé.
Je me suis retrouvée à parler, moi aussi : de couture, de mes lectures, des autres villageois et de leurs activités. Remarquable, ce que les gens peuvent dire et faire quand vous faites partie du décor. Petr m’écoutait, me posait des questions. Quelquefois, je croisais son regard. Il avait de petits plis aux coins des yeux qui s’accentuaient lorsqu’il souriait. J’ai découvert que j’avais beaucoup de choses à dire. Je n’arrivais pas à savoir si le biologiste en lui voulait étudier mon apparence monstrueuse ou s’il appréciait réellement ma compagnie.
Il était assis sur mon tabouret derrière le comptoir, à me raconter comment il avait rampé dans les conduits de ventilation d’Amitié pour étudier les lichens uniques à la station. « Ils ont dû faire du stop sur une navette. La question est de savoir d’où ils… »
Je l’ai interrompu. « Comment peut-on s’y rendre ? Pour visiter ?
— Tu veux y aller ?
— J’aimerais voir comment c’est. » Et être en apesanteur, ce que j’ai gardé pour moi.
« Une navette passera me chercher dans quelques mois. Mais ça va te coûter cher. »
J’ai acquiescé.
« Tu as de l’argent ? m’a-t-il demandé.
— J’en ai un peu de côté. »
Il a mentionné combien ça me coûterait et j’ai senti mon cœur se serrer si fort que j’ai été incapable de parler pendant un moment. Pour une fois, Petr n’a pas comblé ce silence.
Je suis passée à côté de lui pour aller de l’établi de coupe au mannequin. J’ai posé ma main sur un morceau de tissu posé sur la table et celui-ci est tombé. J’ai trébuché. Il a tendu la main et m’a rattrapée et je suis tombée le visage contre son cou. Sa peau était chaude, presque brûlante ; il sentait la sueur, la poussière et une nuance de musc qui s’est insinuée dans mon corps et l’a rendu plus lourd. Tout à coup, j’ai eu du mal à respirer.
Je l’ai repoussé pour m’extraire de son étreinte et me suis appuyée sur la table, titubante, à cause de mes bras qui tremblaient. Personne ne m’avait touchée comme ça avant. Il était descendu du tabouret, adossé au comptoir, face à moi, son torse montant et descendant comme s’il avait couru. Ces yeux-là étaient si perçants que je ne pouvais pas les regarder directement.
« Je suis amoureux de toi. » Les mots ont dégringolé de sa bouche dans un bref marmonnement.
Il s’est raidi, comme surpris par ce qu’il venait d’avouer. J’ai ouvert la bouche pour dire je ne savais quoi, mais des mots pareils méritaient…
Il a levé une main. « Je ne voulais pas.
— Mais… »
Il a secoué la tête. « Aino. Ça va. »
Quand j’ai enfin trouvé quoi dire, il était déjà parti. Je voulais dire que je n’avais pas cru ça possible, mais que c’était le cas à présent. Quelqu’un voulait de moi. C’était une sensation très étrange, comme un petit crochet tirant sur le vide situé sous mes côtes.
Petr a changé après ça. Il a continué à venir à l’atelier, mais il a commencé à se faire des amis ailleurs, aussi. Je le voyais depuis la fenêtre du magasin : sa brusquerie enthousiaste les faisait chavirer. Il s’accroupissait à côté de la tisserande de l’autre côté de la rue, la regardant travailler avec passion. Il se lançait dans un marchandage enjoué avec Maiju, qui ne négociait jamais le prix de ses légumes, mais avec lui, si. Il essayait même de chanter, sans succès. Je reconnaissais la façon dont ils le regardaient. Et même s’ils ne faisaient que se prêter à son jeu, le traitant comme un idiot inoffensif, je me voyais devenir peu à peu jalouse. Ça aussi, c’était nouveau.
Il n’en a plus reparlé par la suite. Nos conversations esquivaient les sujets plus importants. La nuit, le souvenir de son odeur s’immisçait dans mes pensées. J’ai essayé de la faire partir dans l’eau de la rivière.
« Aino, je pense que je vais rester ici. »
Petr n’était pas venu depuis une semaine. Et maintenant, ça.
« Pourquoi ? » J’ai trituré une couture sur la chemise de travail dont je faisais l’ourlet.
« J’aime cet endroit. Tout est simple – pas de haute technologie, pas de surcharge d’informations, pas d’urgence. Je peux m’entendre penser. » Il a souri faiblement. « Tu sais, j’ai eu des maux d’estomac durant une bonne partie de ma vie. Quand je suis arrivé, ils ont disparu en une semaine. C’était comme rentrer chez moi.
— Je ne vois pas pourquoi. » J’ai gardé les yeux baissés. « Il n’y a rien de spécial ici.
— Ce sont des gens honnêtes. D’accord, ils sont de la vieille école, un peu distants. Mais je les aime bien. Et il se trouve qu’ils ont besoin de moi ici. Jorma, il s’en moque bien si je ne sais pas chanter. Il m’a offert un poste à la clinique. Il dit qu’ils ont besoin de quelqu’un avec mon expérience. »
« Es-tu d’accord ? a-t-il demandé comme je ne répondais pas tout de suite.
— C’est bien, j’ai fini par dire. Je suis contente pour toi s’ils t’aiment bien.
— Je ne sais pas s’ils m’aiment bien. Certains se comportent avec moi comme si j’étais handicapé. Je m’en fiche un peu, ceci dit. Je peux le supporter tant que certains d’entre vous m’aiment bien. » Son regard pesait sur moi comme une lourde main.
« Contente pour toi », j’ai répété. Il s’est penché par-dessus le comptoir.
« Alors… peut-être pourrais-tu m’apprendre à chanter ? Pour de vrai ?
— Non.
— Pourquoi ? Je ne comprends pas.
— Parce que je ne peux pas t’apprendre. Tu es handicapé. Tout comme moi.
— Aino. » Sa voix était basse. « As-tu déjà envisagé que, peut-être, ils ne te haïssent pas ? »
J’ai levé la tête. « Ils ne me haïssent pas. Ils ont peur de moi. C’est différent.
— En es-tu vraiment sûre ? Peut-être que si tu leur parlais…
— Ils m’éviteraient. C’est comme ça.
— Tu ne peux pas te contenter de rester là et de vivre dans l’amertume.
— Ce n’est pas le cas. Les choses sont ce qu’elles sont, c’est tout. Partant de là, je peux choisir d’être malheureuse ou de ne pas l’être.
— Bon. » Il a soupiré. « Cela fait-il une différence pour toi si je reste ou si je pars ?
— Oui », j’ai murmuré à la chemise sur mes genoux.
« Et bien, lequel des deux ? Veux-tu que je reste ? »
Il avait posé une question directe, alors j’ai dû lui donner une réponse, du moins une sorte de réponse. « Tu pourrais rester un peu. Ou je pourrais partir avec toi.
— Je te l’ai déjà dit. Je ne retournerai pas sur Amitié.
— D’accord.
— Vraiment ?
— Non. »
J’aurais pu ne rien dire quand la procession est passée. Les choses auraient peut-être été différentes. Je pense qu’il aurait découvert la vérité de toute façon.
Nous étions au bord de la rivière. Nous prétendions que notre dernière discussion n’avait pas eu lieu. Il avait insisté pour m’aider à laver des étoffes. Je ne voulais pas de son aide alors il restait assis près de moi à faire la conversation tandis que je trempais les longueurs de tissu dans la rivière et les faisais claquer sur la grande pierre plate. L’ombre immense de Maderakka se profilait à l’horizon. Ce devait être la première fois pour Petr, et il était fasciné. Les oiseaux commençaient à s’amasser dans les airs, au-dessus du plateau, leurs trilles aigus résonnant à travers la vallée.
« Combien de temps cela va-t-il durer ?
— Seulement cette nuit. Elle ne se lève qu’un tout petit peu avant de se coucher à nouveau.
— Je me demande comment c’est de l’autre côté. D’avoir ça dans le ciel en permanence.
— Très silencieux, je suppose.
— Y a-t-il des gens qui y vivent ? »
J’ai haussé les épaules. « Quelques-uns. Pas autant qu’ici. »
Il a poussé un grognement et n’a plus rien dit. Je me suis plongée dans le rythme de mon travail, écoutant le fracas de l’eau et du tissu mouillé sur la pierre, le piétinement et les bêlements des chèvres sur le rivage.
Petr a touché mon bras, faisant remonter une décharge électrique jusqu’à mon épaule. J’ai fait comme si mes muscles avaient tressailli tout seuls.
« Aino. Qu’est-ce que c’est ? » Il montrait du doigt le haut de la pente.
Les femmes et les hommes qui marchaient étaient habillés tout en blanc et précédés par une vieille femme portant un paquet dans les bras. Ils se dirigeaient vers le point le plus profond de la vallée, là où la rivière émergeait du sous-sol et où un vague sentier remontait la paroi en lacets.
Je suis retournée à ma lessive. « Ils vont au plateau.
— Je le vois bien. Que feront-ils une fois là-bas ? »
La question était trop directe pour être évitée. Il fallait que j’y réponde d’une manière ou d’une autre. « Nous n’en parlons pas », j’ai fini par lâcher.
« Allons. Si je dois vivre ici, il faut qu’on me dise ce qu’il se passe.
— Je ne sais pas si cette décision m’appartient. »
Il s’est rassis sur la pierre, mais il était tendu à présent et n’a pas cessé de jeter des coups d’œil vers la procession tandis qu’elle grimpait sur le flanc de la montagne. Il m’a aidé à rapporter les étoffes à l’atelier puis dans la cour avant de partir sans m’aider à les étendre. Je savais où il se rendait. Vous pourriez dire que je l’ai laissé faire – mais je ne pense non plus que j’aurais pu l’en empêcher. Ça a été comme un soulagement. J’ai étendu les étoffes en écoutant le murmure réconfortant du tissu mouillé jusqu’à ce que Maderakka se lève et que le silence couvre mes oreilles de ses mains.
Je ne me rappelle pas avoir été portée vers le plateau dans les bras de ma mère. Je sais seulement qu’elle l’a fait. En regardant Petr allongé la tête sur mes genoux, je suis contente de ne pas m’en souvenir. Bien sûr, tout le monde sait ce qui se passe. Mais il est préférable pour nous d’oublier comment c’était.
Maderakka s’est couchée au petit jour et j’ai été réveillée par des chocs répétés sur la porte. C’était Petr, évidemment, et son nez et ses lèvres étaient enflés. Je l’ai laissé entrer et l’ai conduit à l’arrière de l’atelier, dans ma chambre. Il s’est effondré sur mon lit et s’est en quelque sorte recroquevillé. J’ai allumé la bouilloire et j’ai attendu.
« J’ai essayé d’aller là-haut, a-t-il dit entre ses mains. Je voulais voir ce que c’était.
— Et ?
— Jorma m’a arrêté. »
J’ai imaginé le docteur dégingandé s’évertuer à repousser Petr, et j’ai poussé un petit rire. « Comment ?
— Il m’a frappé.
— Mais tu es (je l’ai désigné d’un geste de la main – un grand geste) énorme.
— Et alors ? Je ne sais pas me battre. Et il fait peur. J’étais presque arrivé en haut quand il m’a vu et m’a arrêté. Voilà ce qu’il m’a fait (il pointa son nez du doigt) rien que pour y être allé. Mais qu’est-ce qui se passe là-bas, Aino ? Il y avait toutes ces espèces d’oiseaux, des centaines, à faire des ronds dans le ciel.
— As-tu vu quoi que ce soit d’autre ?
— Non.
— Tu n’abandonneras pas avant d’avoir la réponse, n’est-ce pas ? »
Il a secoué la tête.
« C’est comme ça qu’on fait. Pour chanter.
— Je ne comprends pas.
— Tu as dit que c’était un – un quoi déjà ? – un écosystème parasitaire. C’est ça ? »
Il a acquiescé.
« Et j’ai dit que les chèvres font office d’incubatrices pour les mouches à crochet et que c’est bon pour elles. Les mouches pondent leurs œufs et les chèvres obtiennent quelque chose en retour. »
Il a hoché la tête à nouveau. J’attendais qu’il relie les points. Son expression demeurait vide.
« Les oiseaux. Quand un bébé naît, on l’emmène là-haut pour son premier lever de Maderakka. »
Les épaules de Petr se sont affaissées. Il avait l’air sur le point de vomir. J’ai ressenti une sorte de satisfaction sinistre à continuer de parler, à me venger de son idiotie.
J’ai continué : « Les oiseaux pondent leurs œufs. Pas longtemps, seulement pour un instant. Et les œufs laissent quelque chose derrière. Ça affecte le développement des enfants… dans leur gorge. C’est ce qui fait qu’ils peuvent apprendre à chanter. » Je me suis montrée du doigt. « Quelquefois l’enfant meurt. D’autres fois, voilà ce qui arrive. C’est pour ça que les autres m’évitent. Je n’ai pas passé le test.
— Vous faites de vous des hôtes, a-t-il dit faiblement. Vous faites ça à vos enfants.
—Ils ne s’en souviennent pas. Je ne m’en souviens pas. »
Il s’est levé, chancelant un peu sur ses pieds, et il est parti.
« Tu voulais savoir ! » je lui ai crié.
Un retardataire s’est posé sur le rocher près de moi. Il lisse ses ailes irisées dans la lumière matinale, faisant passer ses plumes une par une entre ses mandibules. Je détourne les yeux quand il saute sur le torse de Petr. C’est si mal de voir ce qui va se passer, bien trop intime. Mais j’ai peur de remuer, j’ai peur de fuir. Je ne sais pas ce qui se passerait si je bougeais.
Le temps était trop radieux pour que je reste à l’intérieur. J’étais assise sous l’auvent devant mon atelier, emmitouflée dans des châles pour ne pas trop offenser, à faufiler une jupe. La tisserande de l’autre côté de la rue avait sorti un de ses plus petits métiers à tisser sur son porche et travaillait en me tournant le dos. Saarakka était levée et la rue était inondée de chant.
J’ai vu Petr arriver de loin. Sa silhouette carrée donnait aux villageois une apparence si dégingandée et si fragile, comme s’ils pouvaient casser au toucher. Comment arrivaient-ils seulement à rester debout ? Comment son poids ne brisait-il pas les pavés ? Les autres reculaient devant lui, comme des roseaux devant un bateau. J’ai vu pourquoi tandis qu’il s’approchait. Je l’ai accueilli en chantant sans réfléchir. Sa grimace torturée s’est accentuée.
Il est tombé à genoux devant moi et m’a entourée de ses bras ; il m’a serrée si fort que je sentais mes épaules craquer. Il tremblait. Ses pleurs muets se sont abattus sur mon cou comme des vagues humides et silencieuses. Autour de nous, les autres étaient très occupés à ne pas remarquer ce qui se passait.
Je l’ai amené dans la cour. Il s’est calmé et nous nous sommes assis contre le mur à regarder Saarakka dépasser le soleil et glisser sous l’horizon. Quand le dernier croissant de lune a disparu, il a fredonné pour tester l’air, puis il s’est mis à parler.
« Je ne pouvais pas supporter d’être au village pendant Saarakka. Tous ces gens qui discutent et moi qui ne peux pas… je commence à comprendre le langage chanté, tu sais ? Cela ne fait qu’empirer les choses. Alors je suis parti, je suis allé sur ce plateau. Il n’y avait rien là-bas. Je suppose que tu le savais déjà. Seulement les arbres et la petite clairière. » Il a palpé l’arrière de sa tête et a grimacé de douleur. « Je ne sais pas comment, mais je suis tombé sur le chemin du retour, j’ai dévalé le long de la paroi. J’étais proche du fond, je ne me suis pas fait trop mal. Je me suis seulement cogné un peu la tête.
— C’est pour ça que tu es contrarié ? »
Je sentais son regard sur moi. « Si je m’étais vraiment fait mal, si je m’étais blessé gravement, je n’aurais pas pu appeler à l’aide. J’aurais pu rester allongé là jusqu’au coucher de Saarakka. Personne ne m’aurait entendu. Tu ne m’aurais pas entendu. »
Nous sommes restés assis un moment sans rien dire. Le chant des grillons et des oiseaux a subitement disparu. Oksakka s’était levée derrière nous.
« On m’a toujours dit qu’avant de mourir, on est censé se sentir vivant et reconnaissant pour chaque moment vécu. » Petr a poussé un grognement amusé. « Tout ce qui me vient à l’esprit c’est combien il est facile de mourir. Que cela peut arriver n’importe quand. »
J’ai tourné la tête pour le regarder. Ses yeux étincelaient de jaune dans le soleil couchant.
« Tu n’arrives pas à croire que c’est pour toi que je passe du temps avec toi. »
J’ai attendu.
Petr a secoué la tête.
« Tu sais, sur Amitié, ils te trouveraient étrange mais tu ne serais pas traitée différemment. Et la gravité est plus faible quand on s’approche du moyeu. Tu n’aurais pas besoin de béquilles.
— Alors emmène-moi.
— Je n’y retournerai pas. Je te l’ai déjà dit.
— Sur Gliese, alors ?
— Tu y serais écrasée. » Il leva un bras massif. « Pourquoi crois-tu que je sois ainsi ? »
J’ai ravalé ma frustration.
« Il y a des échassiers sur Terre, a-t-il poursuivi. Des oiseaux aux longues pattes. Ils se déplacent comme des danseurs. Tu me fais penser à eux.
— Tu ne me fais penser à rien qui vit ici. »
Il a eu l’air surpris quand je me suis penchée pour l’embrasser.
Plus tard, j’ai dû refermer ses bras autour de moi, tellement il avait peur de me blesser.
J’étais allongée à côté de lui, avec dans la tête des conversations normales, d’autres personnes me regardant dans les yeux, me parlant comme à l’une d’entre elles.
Je suis parcimonieuse. J’ai mis une petite somme de côté au fil des années ; après tout, je n’avais rien pour dépenser cet argent. Si je vendais tout ce que j’avais, si je cédais mon commerce, j’aurais assez pour me rendre sur Amitié, au moins en visite. Si quelqu’un voulait bien acheter mes affaires.
Mais Petr avait emménagé chez moi de façon presque imperceptible. D’un seul coup, il vivait là, et ce depuis quelque temps déjà. Il faisait la cuisine, nettoyait les coins dont je ne m’occupais pas parce qu’ils étaient hors de ma portée. Il ramenait des pousses et des plantes des environs et les mettait dans des petits pots. Quand il a débarqué avec des roches couvertes de lichen j’ai tapé du poing sur la table, alors il les a arrangées en motifs dans la cour. La géante Maderakka s’est levée à deux reprises ; deux processions vêtues de blanc sont passées devant nous sur la route du plateau. Il les a regardées avec un mélange d’envie et de dégoût.
Son attention me gâtait. J’ai oublié qu’il était le seul à me parler. Je me suis directement adressée à une cliente et l’ai regardée dans les yeux. Elle a quitté l’atelier en toute hâte et n’est pas revenue.
« Je veux partir, ai-je fini par dire. Je vais tout vendre. Allons sur Amitié. »
Nous étions au lit, écoutant l’absence d’oiseaux. Le petit œil vif d’Oksakka brillait dans le ciel de minuit.
« Encore ? Je t’ai dit que je ne voulais pas y retourner.
— Seulement pour quelque temps ?
— Je me sens chez moi ici, maintenant. La vallée, le ciel… J’aime tout ça. J’aime être léger.
— J’ai perdu mes clients.
— Je pensais élever des chèvres.
— Ces gens ne t’accepteront jamais entièrement. Tu ne sais pas chanter. Tu es comme moi, tu es un infirme à leurs yeux.
— Tu n’es pas infirme, Aino.
— Pour eux, si. Sur Amitié, non. »
Il a soupiré et s’est tourné de son côté du lit. La discussion était apparemment terminée.
Je me suis réveillée cette nuit parce que le lit était vide et l’air parfaitement calme. Le silence gémissait à mes oreilles. Dehors, Maderakka se levait telle une montagne à l’embouchure de la vallée.
Je ne sais pas si c’était son plan depuis le début. Peu importe. Il n’y a pas eu de naissance ce cycle-là, pas de procession. Peut-être a-t-il simplement vu une opportunité et a-t-il décidé de la saisir.
Il m’a fallu tellement de temps pour gravir le sentier qui mène au plateau. La pente a lutté contre moi, mes béquilles glissaient et butaient sur les graviers et les cailloux ; plusieurs fois j’ai manqué de tomber. Je ne pouvais ni l’appeler ni chanter et les oiseaux tournoyaient dans le ciel en une spirale descendante.
Juste avant d’arriver en vue de la clairière, le chemin s’enroulait autour d’un piton rocheux et s’aplanissait entre les arbres. Tout ce que je pouvais apercevoir tandis que j’avançais péniblement au milieu des arbres, c’était une faible lumière clignotante. Ce n’est qu’en parvenant à la clairière que j’ai pu réellement voir ce dont il s’agissait : ce qui m’était arrivé, ce que j’étais trop jeune pour me rappeler, ce dont aucun de nous ne se souvient et à quoi nous choisissons de ne pas assister. Ils laissent leurs enfants et attendent parmi les arbres, le dos tourné. Ils ne parlent pas de ce qui a eu lieu pendant qu’ils attendaient. Personne n’a jamais dit que c’était défendu, mais j’ai eu le sentiment de commettre un crime, de révéler ce qui était caché.
Petr était debout au milieu de la clairière, une silhouette contre le ciel gris, entouré d’oiseaux. Non, il n’était pas debout. Il flottait, suspendu par leurs ailes, ses orteils frôlant le sol, sa tête renversée en arrière. Ils grouillaient sur son visage, s’accrochaient dans ses cheveux.
Je ne peux plus détourner les yeux. Je suis sur le point d’assister de près au processus. L’oiseau qui se tenait sur le torse de Petr semble ne me prêter aucune attention. Il pousse son ovipositeur entre les lèvres de Petr et se met à trembler. Puis il part dans un battement d’ailes, si vite que je ne m’en rends presque pas compte. Le torse de Petr se soulève et il roule sur mes genoux, tombant à terre sur son dos. Il est éveillé à présent, son regard perdu dans le ciel. J’ignore si c’est de la terreur ou de l’extase que je vois dans ses yeux tandis que le tout petit juvénile lutte pour s’extraire de sa bouche.
Dans une semaine, la navette survolera notre monde. Peut-être me laisseront-ils prendre la place de Petr. En partant maintenant, en le laissant par terre et en voyageant léger, je pourrais y arriver à temps. Je n’ai pas besoin d’un ciel au-dessus de moi. Et à en juger par la qualité de leurs vêtements, les gens d’Amitié ont besoin d’une couturière.
‘Sing’, parution originale tor.com, edited by Ann VanderMeer, Tor Books, 17 avril 2013. Traduit par Mathieu Prioux, octobre 2018.
par Karin Tidbeck
publié dans N° 13
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