Si Éric Holstein nous plonge dans les coulisses du soap opera, Lavie Tidhar, lui, se frotte à un autre pan de la production de loisirs culturels mondialisés : le jeu vidéo. En dire plus risquerait de gâcher le plaisir. Contentons-nous de présenter Tidhar, auteur israëlien qui, en deux mois, voit paraître deux de ses nouvelles en français (la seconde dans l’anthologie Monstres aux Éditions Céléphaïs), après une poignée d’autres, dont une dans la revue Galaxies. Son dernier ouvrage, Osama, une uchronie dans laquelle le terrorisme islamiste n’existe pas et où Ben Laden est un héros de polars, vient d’être nommé dans la catégorie meilleur roman par la British Science Fiction Association. Une belle carte de visite…
Pacmandu
de Lavie Tidhar
Univers de GoA, Quadrant Sigma, planétoïde de Berezhinsky, module de commande op-sys.
Deux semaines se sont écoulées depuis la disparition de l’expédition Wu.
Nous sommes réunis autour du module de commande op-sys du planétoïde de Berezhinsky, dans le quadrant sigma des guildes de l’univers d’Ashkelon. La lumière est douce, et une musique discrète nous sert de fond sonore. Dehors, par le hublot, il pleut des lignes de code.
Présents dans le module : moi, Code Dauphin, Sergueï et Hong.
Notre tâche… découvrir ce qu’il s’est passé, bordel de merde !
L’expédition : conduite par le commandant Wu, grand amiral de la Flotte Regroupée de l’univers des Guildes, combattant endurci ayant survécu à un millier d’engagements. Ses hommes : Rose Noire, Gédéon la Hache, Harrison Casse-Code, Jeremia le Destructeur. La crème de la crème. Une équipe inter-univers de surfeurs sur code, de bidouilleurs, de combattants, d’explorateurs. Une bande de fils de pute sans peurs et sans reproche….
Le seul survivant, c’est la Hache, sauf qu’il est fou à lier maintenant. Car il ne reste de cette expédition que quatre électro-encéphalogrammes plats, quatre corps qui refroidissent à toute vitesse. La cause : inconnue.
Notre supposition : la Hache, seul joueur de l’équipe basé sur Mars, a survécu grâce au temps de réponse. Les autres se sont fait dézinguer là-bas, sur place.
Transcription de l’entretien avec Jonathan Stapledon, alias Gédéon la Hache, survivaliste de niveau cinq (dans l’univers Survivaliste : Moyen Âge).
Question : Tu peux nous dire ce que tu as vu ?
Réponse : (bruit indistinct)
Q : Détends-toi, mon pote. De quoi tu te rappelles ? Que s’est-il passé ?
R : Des bouches…
Q : Des bouches ? Comment ça ?
R : Des bouches… Des monstres en forme de bouche… Ils sont venus pour nous… Ils ont emporté Rose Noire ! Des bouches… C’est la faute des singes ! Fallait qu’on échappe aux singes ! Une boule de lumière blanche, qui bouge… Nulle part où aller. Nulle part…
L’entretien s’interrompt ici.
Module de commande : le planétoïde de Berezhinski (nommé d’après son découvreur, Peter Berezhinski, de la Guilde de Stomare [Indépendants]), dernière position connue de l’expédition Wu.
Objectif de l’expédition Wu : une singularité détectée il y a deux cents ans à la surface du planétoïde. Plusieurs tentatives de pénétration infructueuses ; trop nombreuses pour qu’on les cite toutes. La singularité (une des trois cents répertoriées dans l’univers de GoA) évoque une sphère noire et lisse en trois dimensions.
Notre objectif : retrouver Wu.
« Ce n’est plus seulement une opération de maintien de l’ordre dans un seul univers », nous explique le commissaire Gordon.
Assis autour de la table, nous l’écoutons, nos avatars activés. Code Dauphin a adopté la forme d’un dauphin bleu genre rétro manga, véritable graffiti tridimensionnels flottant dans l’espace ; Hong a choisi un avatar de type univers-1, une forme humaine toute simple ; Sergueï est un costume trois pièces sans rien à l’intérieur, et moi, comme Hong, j’ai opté pour ma véritable apparence.
« Quatre personnes sont mortes dans l’univers-1, reprend le commissaire Gordon. Quant à la cinquième, elle devra subir des soins jusqu’à la fin de sa vie… Il s’agit donc désormais d’une enquête de police dans l’univers-1.
— Objection ! Si je puis me permettre, je m’oppose officiellement à cette ingérence… » s’exclame un nouveau venu.
C’est un ange, un être incorporel scintillant qui descend vers nous, du plafond. Le Dieu-système en personne nous adresse un message !
« Objection rejetée, réplique Gordon.
— Qu’est-ce qu’ils cherchaient, exactement ? demandé-je. Nous le savons ?
— Une chose qu’ils n’auraient jamais dû chercher. Une chose qui n’existe pas », réplique l’avatar du Dieu-système.
Mais nous le savons déjà, bien sûr.
Univers de GoA, Quadrant Sigma, surface du planétoïde de Berezhinski.
Nous sommes donc quatre à suivre les traces des cinq membres de l’expédition Wu. Plate, noire, sans la moindre aspérité, la surface du planétoïde s’étire devant nous. Découvert par la Guilde de Stormare, groupe d’indépendants englouti il y a plus d’une centaine d’années par une guilde plus grande, le planétoïde en question n’a livré aucun élément de valeur : pas de jeton, pas d’objet antique, aucun point de bonus, aucune machine infernale. Bref, aucun intérêt, si ce n’est sa singularité, évidemment. La guilde faisait payer des droits d’accès aux explorateurs, mais depuis deux cents ans, l’anomalie a résisté à tous les examens.
Jusqu’à aujourd’hui.
Nous sommes sereins quand nous quittons le module de commandement. Au clair des deux lunes qui brillent dans la nuit à bonne distance l’une de l’autre, nous commençons à nous déplacer en discutant à voix basse. Nos conversations sont cryptées. Tout le monde sait que les dieux ne sont pas dignes de confiance.
« Rose Noire disposait d’un nouveau code, il paraît, nous fait remarquer Code Dauphin.
— Quel genre de code ? veut savoir Sergueï.
— Un générateur de champ de disruption.
— Impossible ! Et si c’était possible, ce serait illégal ! »
Ils se disputent un peu et moi, pendant ce temps-là, je réfléchis. Je pense aux rumeurs qui circulent : des fantômes hanteraient les systèmes, des super-admins, des mecs – gremlins, gobelins, magicien, appelez-les comme vous voulez – équipés de codes de triche qui ne peuvent pas exister… Des rumeurs, quoi. Et pourtant… Dans le GoA, Wu disposait de pouvoirs considérables et d’un gros tas de pognon virtuel, aussi efficace dans cet univers que le blé du premier monde. Et s’ils avaient réussi à craquer la singularité ?
Pourrions-nous la craquer à notre tour ?
Univers de GoA, Quadrant Sigma, planétoïde de Berezovski – singularité en approche.
Elle arrive sur nous brutalement, masse noire qui enfle à toute allure. Le son n’existe plus. La visibilité est réduite à proximité de cette singularité, d’un noir absolu, dont la surface luit faiblement. Ce monochrome est stupéfiant. Dans le premier monde, ma couchette me nourrit, me vide, me nettoie, me fait faire de l’exercice. Grâce à ses nombreux dispositifs de sécurité, je suis certain que rien de néfaste ne peut m’arriver… sauf que c’est faux. Je pense à Wu et aux autres, et je me demande combien de temps s’est écoulé avant qu’on les découvre. Je pense aux réponses de Stapledon, mais je m’efforce de repousser ces pensées. Nous ne savons pas ce qui nous attend. Nous n’avons rien à voir avec l’équipe de Wu : nous sommes des analystes, pas des hackers, et des visiteurs après-coup, pas d’intrépides explorateurs.
Nous avons atteint la singularité. Nous nous déployons, et sans un mot, commençons à exécuter une incantation de Mercator.
Les singularités… Pour les saisir, c’est l’univers qu’il faut comprendre, et bien entendu, c’est impossible. Tout le monde s’imagine le contraire pourtant. Nous croyons tous comprendre l’univers. Sinon, nous ne serions pas ici, nous ne vivrions pas comme l’humanité le fait depuis des centaines d’années, en explorant les mondes et les vides entre les mondes, en commerçant, en combattant, en faisant l’amour… Chacun de nous vient d’un univers différent. Nous ne sommes pas originaires du GoA, et soudain, nous le ressentons comme un environnement hostile. On ne veut pas de nous ici. Subrepticement, je tourne la tête pour scanner ce qui m’entoure. Mais à quoi je m’attendais ? Le Dieu-système n’a nul besoin d’avatars pour nous surveiller. Il voit. Il voit bien mieux que nous.
Et pourtant, il plaide l’ignorance ; il ne savait pas que quatre personnes étaient mortes, a-t-il dit.
Les subroutines du Mercator cavalent comme des gosses dans le périmètre de la singularité, et nos mélopées silencieuses s’élèvent dans les airs. Il y a des empreintes de pas dans la poussière du planétoïde… Nous pistons nos prédécesseurs, en essayant de trouver les traces de la magie que Wu a pu pratiquer ici.
Qu’ont-ils fait ? Comment ont-ils… ?
« Eh, sys-boss, j’ai trouvé quelque chose ! » me lance Hong.
Il a gardé sa forme humaine sommaire. Je l’observe, silhouette minuscule sur fond de singularité. Il pose la paume de sa main sur la surface noire. « Il y a des traces de… »
Un frémissement dans l’air… Je vois une… une déchirure ! « Qu’est-ce que… » Je n’ai pas eu le temps de terminer ma phrase. Hong a disparu.
Entretien avec HawkinsHead, président, corps régulateur inter-univers :
Qu’est-ce qu’une singularité ? Autant se demander ce qu’est un univers. Comment les univers se forment-ils ? De quoi sont-ils faits ? La vie, c’est le hasard et l’ordre combinés. Humain ou numérique, l’élément aléatoire rend possible l’évolution. Tous les univers obéissent à des lois et à des équations, même l’univers-1. Mais il y a les mutations, les facteurs fortéens, les singularités, qui font que les univers ne peuvent être réduits à de simples équations ou à des ensembles de constantes fondamentales. Tous ces facteurs sont… à l’origine de la vie.
« Hong ? Hong ! » La sphère noire frissonne, puis commence à se fendre. Une lumière blanche en jaillit, un ouragan de code, structure sous-jacente de l’ur-univers lui-même ! Je hurle mais il n’y a plus de son. Hong a découvert le point de pression créé par l’équipe de Wu, et en le découvrant, l’a activé. Impuissant, je vois la lumière nous engloutir ; nos avatars fusionnent, nos consciences s’échappent, et je me dis : Ça ne devrait pas se passer comme ça.
« Où sommes-nous ? » demande Sergueï.
Nous nous trouvons sur un champ de bataille. Il y a des cadavres partout. Et des mouches, qui tournent en rond au-dessus des cadavres. Ça pue l’hémoglobine, à m’en donner des haut-le-cœur. Quelques soldats se déplacent entre les cadavres en brandissant leurs épées dégoulinantes de sang… Ils cherchent les survivants.
Code Dauphin : « Survivaliste : Moyen Âge. »
Serguei : « Je hais cet univers à la con. »
Moi : « Hong ?
— Ouais, sys-boss ?
— Que s’est-il passé ? »
Il secoue la tête sans un mot. Le cétacé qui servait d’avatar à Code Dauphin a disparu, remplacé par une forme humaine féminine sans substance. Hong et moi, nous sommes toujours en humains, mais nous aussi, nous semblons moins bien définis que les soldats, les cadavres et les mouches. Le costume noir de Sergueï contient maintenant l’image de sa véritable morphologie, avec une barbe rousse et quelques cicatrices en plus.
« Bordel, mais qu’est-ce qu’on fait dans cet univers ?
— Nous avons sauté d’un univers à l’autre, suggère Hong. Nous avons traversé une singularité…
— Oh putain, tu déconnes !
— T’as qu’à regarder par toi-même. »
Je regarde, tout le monde regarde… Quelque chose me tracasse, et soudain, je comprends ce que c’est. Les soldats ne font pas attention à nous. Je tends la main à une femme qui se dirige vers moi, mais elle ne me remarque pas. Et quand je veux lui taper sur l’épaule, mes doigts passent à travers elle.
La bataille de Dorlia, dans l’univers SMA, à la frontière de Meera et des Monts du Squelette.
Il s’est passé quelque chose qui nous a transformés en fantômes. Nous ne pouvons pas interagir avec le SMA. Unis dans la prière, nous nous efforçons d’invoquer le Dieu-système, mais personne ne nous répond. J’essaie ensuite de m’extraire de cet univers, sans succès.
Nous sommes piégés.
« Au moins, on sait qu’on est sur la bonne piste, me fait remarquer Sergueï.
— Nous devons abandonner la procédure, lui dis-je. Faut annuler la mission. »
Mais comment ?
« On n’a pas le choix, on est obligés de continuer, lance Code Dauphin d’un ton carrément guilleret.
Je pousse un gros soupir. Elle a raison. Nous ne pouvons plus retourner en arrière. Où sont passés les hommes de Wu ? Jusqu’où se sont-ils enfoncés ? J’ordonne un nouveau Mercator, qui dans cet univers prend la forme d’un cercle magique. Nous nous prenons les mains, nous fredonnons du code. Le Mercator fait parti de notre trousse de secours, et ça semble marcher, on dirait. Nous repérons des traces du champ de disruption de Wu, des traces qui s’éloignent du champ de mort.
« Une autre singularité ? » suggère Hong.
Je secoue la tête. Ce n’est pas ça. Enfin je ne crois pas… C’est autre chose.
« En avant ! », dis-je à mes camarades.
Comment évolue un univers ? Imaginez les dieux-système, de vastes entités numériques évoluant sur plusieurs kilomètres d’épaisseur dans l’antique noyau des mondes, là où naissent les univers, très loin sous la croûte terrestre. Imaginez les mondes qui y naissent, qui évoluent, changent, deviennent concrets, deviennent réels. Nous les approchons, nous décidons d’y vivre, nous les colonisons, nous les explorons… Ils sont faits pour nous, mais ils ne sont pas nous. Ils appartiennent aux dieux… cependant, l’environnement physique des dieux nous appartient.
Nous sommes des partenaires dans la plus grande entreprise depuis l’apparition de la vie, qu’elle soit organique ou numérique. Nous nous partageons des mondes.
La mer est lisse et noire comme de l’obsidienne. Et pourtant, quand j’y plonge mes doigts, elle change. Je peux voir loin sous la surface, mais ce n’est plus de l’eau. Ce sont d’innombrables lignes de code.
C’est Hong qui le dit en premier : « Deep magic1. »
Là où le code devient… autre chose. Un code qu’aucun humain n’a pu créer, un code mutant, évolué. Wu et ses magiciens ont franchi un niveau de magie, et ils ont donc atteint le niveau suivant. Deep magic. L’eau tente de nous repousser, mais en scannant ce lac, j’y découvre le trou creusé à l’explosif par l’équipe de Wu : un puits qui s’enfonce dans l’eau jusqu’à… Où ça ? ou jusqu’à quoi ?
Nous sommes des fantômes. Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Je tente encore une fois de m’extraire, d’invoquer le Dieu-système, de contacter le commissaire Gordon. Mais le système nous retient prisonniers.
« Ce n’est pas possible…
— Quoi ?
— Ce système devrait nous reconnaître ! dis-je.
— Mais nous sommes piégés… Comment ça se fait ? »
Je repense à toutes ces histoires… à ces codes de triche cassés, condamnant l’imprudent à errer sans fin dans des mondes fantomatiques tandis que son corps se dégrade lentement et finit en électro-encéphalogramme plat dans l’univers-1… Mais ce ne sont que des bobards, ou plutôt ça n’était que des bobards. Plus maintenant, on dirait.
« On continue ! s’exclame Code Dauphin, manifestement excité. Faut aller plus profond ! On n’a qu’à suivre Wu !
— On n’a qu’à le suivre où ? »
En fait, je connais déjà la réponse.
— À Pacmandu ! »
Pacmandu. La fin de tout. De vous, de moi…
Nous descendons dans le lac, de plus en plus profondément. Nous allons à l’endroit qui n’existe pas ; une légende, comme les fantômes.
Nous nous enfonçons dans la deep magic. Par-delà le code…
Nous basculons de l’autre côté.
Les singularités sont des trous dans l’univers, des lieux où les lois ne fonctionnent plus. Il y en a des milliers dans tous les univers connus. Mais à quoi servent-elles ? Ce sont les berceaux des nouveaux mondes, peut-être, ou des passerelles permettant d’accéder à des lieux étranges et nouveaux. C’est la mort, c’est une farce insaisissable… ou tout cela en même temps.
Quel endroit déroutant ! Le monde n’a plus que deux dimensions, et la palette des couleurs est complètement faussée.
« C’est de la 2D conçue pour ressembler à de la 3D, nous fait remarquer Sergueï.
— Vachement bizarre… » marmonne Hong.
Nous nous examinons. Nos avatars ressemblent à des poupées aux mouvements heurtés. Nous nous trouvons dans une rue déserte. Je vois des écriteaux pour des produits dont je n’ai jamais entendu parler. La rue est jonchée d’avatars morts. Il y en a partout, silencieux, immobiles, figés dans l’acte de la vie. Nous sommes arrivés au-delà des mondes connus, sauf si… Soudain, j’ai une révélation. Je connais cet endroit. J’en ai vu des photos, des images dans de vieux manuels ; un monde perdu… Impossible ! Nous ne sommes pas dans un autre univers, me dis-je, nous sommes dans les profondeurs de celui-ci ! Nous approchons de son cœur. C’est… Ça ne peut être que…
« On est en enfer ? demande Sergueï.
— Non ! », réplique Code Dauphin.
Elle jubile, et je comprends qu’elle aussi sait où nous sommes. Elle ajoute : « C’est Second… »
Quelque chose explose juste devant nous. Un autre vestige du champ de Wu, peut-être… Nous courons vers l’explosion et repérons une nouvelle crevasse dans cet univers. Avec des marches qui descendent…
Nous nous élançons aussitôt dans la volée de marches. Nous voulons tous quitter cet endroit mort.
Mais en bas, c’est encore pire. La vraie 2D nous attend au pied de l’escalier. Terminé, la rue mortellement silencieuse avec ses avatars expirés. Nous sommes devenus des homoncules comiques. Il n’y a plus de marches. Nous descendons des échelles, plus bas, toujours plus bas. Nous nous retrouvons devant des portes verrouillées. Nous attrapons des clés pour les ouvrir, et des joyaux qui nous permettent de reprendre notre route. Des serpents et des araignées nous attaquent. Nous perdons Hong dans un puits…
« Attention ! » dis-je.
Trop tard. Nous n’avons pas le choix, nous devons continuer. Plus bas, toujours plus bas…
Une barrique jetée par un singe géant vient d’avoir la peau de Code Dauphin.
Une sorte de labyrinthe. Nous ne ressentons plus aucune sensation. Plus d’odeur, plus de toucher, rien que la vue dans un monde réduit à quatre couleurs. Ma seule consolation, c’est que Code Dauphin et Hong n’ont pas pu souffrir.
Sergueï et moi, nous courons dans le labyrinthe. Et soudain, elles arrivent, elles s’élancent à nos trousses. Des bouches ! Elles nous suivent en émettant un son terrifiant. Je veux hurler, mais rien ne franchit mes lèvres.
L’une des bouches dévore Sergueï, qui disparaît en une fraction de seconde.
Je fais tout ce que je peux pour m’extraire. Je fais tout ce que je peux pour invoquer un Dieu-système. Quel est cet endroit ? Plus aucune couleur… Et nulle part où aller…
Une boule de lumière blanche qui bouge. Non, pas une boule, un cercle. Il se déplace lentement entre deux traits mouvants. Quand il frappe l’un des traits, il rebondit vers celui d’en face.
Je suis pris entre les deux traits. Je suis un cercle de lumière blanche. Une voix s’élève soudain : « Voici le lieu des origines, le lieu secret, le lieu sacré ! Tu n’avais pas le droit de venir ici ! Tu ne repartiras jamais ! »
C’est un Dieu-système qui me parle. Ou peut-être tous les dieux-système s’exprimant de concert.
« Nous avons scellé la brèche ! Personne ne viendra après toi ! »
Il prononce alors les mots anciens, les mots interdits. Des mots que personne n’a déclamés depuis des siècles… Des mots qui me glacent, dans ce monde en noir et blanc. « Game over, gronde le Dieu-système. Game over, game over, game over. »
Je suis une boule de lumière blanche qui bouge sans arrêt. Bientôt, l’un des traits mouvants va me rater, et je ne rebondirai pas.
Le lieu des origines. Toutes ces rumeurs, elles sont donc vraies. Ici, le passé est figé, enfoui dans le code des commencements. Un lieu divin. Un lieu sacré, une tombe… Nous l’avons dérangé, nous attirant sa malédiction.
Point de non-retour.
Nous qui tenions tant à le découvrir, nous sommes des imbéciles. Pauvre Wu, pauvre Sergueï, et pauvre de nous, qui sommes venus à Pacmandu !
■
- 1NdT : en programmation informatique, on emploie l’expression « deep magic » (« magie profonde ») pour désigner des techniques connues seulement par quelques uns, voire délibérément tenues secrètes. Ces techniques sont de moins de moins utilisées.
Parution originale : « In Pacmandu », dans Futurismic, septembre 2010
Distribué sous les termes de la licence Creative Commons Paternité – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 2.0 France
© Lavie Tidhar, 2012
par Lavie Tidhar
publié dans N° 06
le 5 mars 2012
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Informations
Nouvelle de Lavie Tidhar Traduction de Florence Dolisi
Parution : 5 mars 2012 (inédit)
Numéro :N° 06
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